L’histoire du chocolat à travers les siècles
Raconter l’histoire du chocolat, c’est remonter aux origines du cacao. On les attribue souvent aux Mayas, qui lui ont donné une place centrale dans leur culture, leur mythologie et leurs rituels. Mais l’histoire du cacao commence un peu plus au sud, en haute Amazonie, où les archéologues ont retrouvé les plus anciennes traces connues de sa consommation, datant d’environ 5 300 ans et attribuées à la culture Mayo Chinchipe-Maraño.
Ce n’est qu’auprès des civilisations mésoaméricaines – Olmèques, Mayas, Mixtèques, Nahuas et Aztèques – que les Européens découvrent le cacao pour la première fois.
Quelle place occupait le cacao dans les sociétés mésoaméricaines ? Est-ce vrai que Louis XV était un grand amateur de chocolat ? Comment l’industrialisation a-t-elle bouleversé notre manière de le consommer ? Et enfin, pourquoi le mouvement bean-to-bar a-t-il vu le jour ?
Venez, on vous embarque pour un voyage passionnant à travers l’histoire du chocolat, une épopée de plus de 5 000 ans.
Le cacao du temps des Mayas et Aztèques
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la Mésoamérique n’était pas parsemée de cacaoyers poussant au bord de chaque route (ou plutôt chemin de terre), comme le maïs. En réalité, la culture du cacao était concentrée dans quelques zones bien précises, où le climat permettait à cet arbre fragile de s’épanouir. Le cacao était donc une commodité d’exportation, envoyé dans toutes les régions de l’actuelle Amérique centrale et du Mexique. Considéré comme un arbre divin et source de richesse, la culture du cacaoyer était contrôlée par les dirigeants maya.
Bien avant que le mot « terroir » n’apparaisse, les peuples mésoaméricains associaient déjà le goût du cacao à son origine. Chaque région affirmait son identité à travers la variété des fèves, les caractéristiques du sol et du climat, mais aussi les méthodes de transformation. Les préparations à base de cacao étaient emblématiques de certains lieux, portant une signature gustative d’un terroir.
Pour les Mésoaméricains, les fèves de cacao étaient considérées comme un cadeau des dieux. Elles occupaient une place essentielle dans les rituels religieux comme dans les grands moments de la vie : mariages, alliances, et autres contrats sociaux. Pour cela, les fèves de cacao séchées et broyées étaient dissoutes dans de l’eau et battues pour former une boisson épaisse et mousseuse, agrémentée d’épices, notamment de la vanille et du piment.
À défaut d’avoir une recette aztèque à vous partager, nous vous proposons d’essayer nos infusions de cacao, avec ou sans épices, pour un petit voyage à l’époque précolombienne sans quitter votre canapé !
Au-delà de leur dimension spirituelle, les fèves de cacao avaient aussi une valeur économique importante. Les fèves qui ne répondaient pas aux exigences de qualité et de goût pour élaborer la boisson sacrée n’étaient pas perdues ! Elles servaient comme monnaie d’échange pendant plusieurs siècles, et pour cause. Les avantages étaient nombreux : une fois séchées, elles se conservaient très longtemps dans de gros sacs. De plus, elles pouvaient être divisées et stockées facilement. Un petit sac de fèves sur les épaules et hop, en route pour aller faire les courses au marché !
Autre fait intéressant : si les boissons au cacao étaient réservées aux élites, l’utilisation des fèves de cacao comme monnaie d’échange permettait au peuple ordinaire d’accumuler le cacao et d’élever son statut social.
Les Espagnols font découvrir le cacao au reste de l’Europe
Après la découverte du continent américain par les Européens, Christophe Colomb ramène en 1502 quelques sacs de fèves de cacao en Espagne, sans vraiment savoir quoi en faire. Ce n’est qu’en 1519 que l’empereur Aztèque Montezuma II offre à Hernán Cortés la boisson sacrée à base de cacao, appelée xocoatl, signifiant « eau amère » en nahuatl. Il s’agit d’ailleurs de l’une des pistes permettant d’expliquer l’origine du mot chocolat.
Bon, le cacao ne suscite pas le même engouement chez les Espagnols que chez les Aztèques. Selon les contemporains, la boisson était amère, épaisse, difficile à avaler, au point de provoquer des nausées. Il a fallu quelques « améliorations » de la recette pour que le palais européen l’accepte. L’ajout de sucre a bien aidé !
Après la conquête sanglante de l’empire aztèque, Hernán Cortés rentre en Espagne et présente la boisson sacrée au roi Charles Quint. Avec l’ajout du sucre, le cacao devient extrêmement populaire parmi la noblesse espagnole qui en boit à toutes les occasions.
Avant de poursuivre les aventures du cacao sur le continent européen, revenons dans son berceau et attardons-nous sur le sort réservé aux Aztèques, qui rend le goût du chocolat bien plus amer.
La face sombre du cacao à l’époque coloniale
Si le cacao, en tant qu’aliment, ne séduisait pas les Espagnols, ils ont vite compris sa valeur aux yeux des Aztèques. Le cacao était synonyme de richesse dont les Espagnols comptaient bien s’emparer. À cette époque, la production était concentrée dans la région d’Izalcos (l’actuel El Salvador).
À l’époque coloniale, les Espagnols ont pris le contrôle de la production du cacao, forçant les populations indigènes à travailler dans des conditions inhumaines. Ils ont ainsi exploité leur savoir-faire ancestral, tout en détériorant leur situation économique et sociale.
Lorsque les rendements ne suffisaient plus, ils ont introduit la culture du cacaoyer dans d’autres zones, sans héritage indigène : l’actuel Costa Rica, le Venezuela et l’Équateur, où ils ont fait venir les premiers esclaves africains, contraints de travailler aux côtés des populations locales. Ne possédant pas le savoir-faire indigène, la qualité des fèves y était nettement inférieure, mais cela importait peu aux colons espagnols.
Le cacao s’est alors inscrit dans le sombre commerce triangulaire aux côtés d’autres commodités comme le sucre, le rhum, le café, dont la culture reposait sur le travail forcé d’esclaves venus majoritairement du continent africain.
Au début du XXe siècle, pour répondre à la demande croissante en cacao, les Européens ont introduit les cacaoyers dans d’autres régions du monde, comme l’Afrique de l’Ouest et centrale, ainsi que l’Asie du Sud-Est, où les conditions climatiques étaient idéales pour leur culture. Le cacao a ainsi quitté son continent natal pour s’épanouir aux quatre coins du monde. D’ailleurs, le premier producteur mondial de fèves de cacao est aujourd’hui la Côte d’Ivoire, en Afrique : un continent bien différent de ses origines !
Le chocolat séduit la Cour de France
Mais revenons au XVIIe siècle, cette fois-ci sur le Vieux Continent. Le chocolat est alors la boisson la plus en vogue à la Cour et parmi la noblesse espagnole. La recette aztèque laisse rapidement place à la recette dite « espagnole », bien plus adaptée aux palais européens.
Les épices aztèques sont notamment remplacées par du sucre, symbole du commerce colonial florissant de l’époque.
Pour préparer la boisson, les fèves de cacao sont réduites en poudre, puis transformées en pastilles de chocolat, prêtes à l’emploi. La recette espagnole voulait que les pastilles soient diluées dans du lait, avec l’ajout de miel, de sucre et de vanille, pour adoucir l’amertume du cacao. La boisson ainsi préparée est servie dans une chocolatière à trois pieds, magnifiquement décorée.
Quant à la France, elle découvre le chocolat en 1615 grâce à Anne d’Autriche, infante d’Espagne. À l’occasion de son mariage avec Louis XIII, elle ramène dans ses valises la gourmandise de son enfance : le chocolat. Ainsi, la Cour de France découvre la boisson qui fait fureur parmi la noblesse espagnole depuis plusieurs décennies. Une autre infante espagnole, Marie-Thérèse, épouse de Louis XIV, perpétue la tradition et ancre définitivement le chocolat dans les habitudes de la noblesse française.
Dès lors, les rois et reines de France, de Louis XIII à Marie-Antoinette, ne peuvent plus se passer de chocolat chaud. On lui prête des vertus énergétiques, fortifiantes, voire aphrodisiaques. Sa consommation devient un véritable rituel : le matin au petit-déjeuner, ou l’après-midi au goûter, toujours dans une vaisselle dédiée à cet usage. Parmi tous les souverains, c’est Louis XV qui se distingue comme le plus grand amateur de chocolat, au point d’inventer sa propre recette de chocolat chaud, avec l’ajout d’un jaune d’œuf !
En somme, le chocolat a le vent en poupe, mais il faudra attendre de nombreuses décennies et quelques inventions majeures pour que cette effervescence touche toutes les classes sociales.
Les inventions qui façonnent l’histoire du chocolat
Jusqu’alors produit de luxe, consommé par les élites et uniquement sous forme de boisson, le chocolat entre dans une nouvelle ère avec l’industrialisation. Au XIXe siècle, une série d’inventions majeures permet sa démocratisation : le chocolat devient peu à peu un bien de consommation accessible à toutes les couches sociales.
En 1828, l’industriel et le chimiste hollandais Van Houten met au point la presse hydraulique, qui permet de séparer le beurre de cacao de la masse de cacao. Une invention majeure ouvrant la voie à la fabrication de la poudre de cacao à moindre coût.
À partir de là, tout s’accélère. En 1847, les frères Fry, de la chocolaterie Fry & Sons à Bristol, inventent la première tablette de chocolat, réalisée avec de la pâte de cacao, du beurre de cacao et du sucre. Bien que granuleuse et très cassante, elle marque un tournant dans la manière de consommer le chocolat : désormais, on ne le boit plus, on le croque !
Les expérimentations s’enchaînent à une vitesse folle, surtout chez nos voisins suisses : la création du chocolat au lait en 1875 par Daniel Peter, ou encore l’invention du conchage en 1879 par Rodolphe Lindt, qui permet de créer le premier chocolat fondant au monde.
Par ailleurs, le chocolat blanc, lui aussi, est une invention suisse : c’est Nestlé qui, dans les années 1930, crée une nouvelle recette pour valoriser le surplus de beurre de cacao.
L’ère de l’industrialisation du chocolat
Grâce à l’industrialisation et à la standardisation de la production, le chocolat devient de plus en plus accessible, passant d’un produit de luxe à une gourmandise plus ou moins abordable, vendue dans les épiceries. En France, on voit naître des artisans chocolatiers fabriquant leurs tablettes à partir de fèves de cacao importées. Torréfier, concasser, broyer, mélanger… les chocolatiers maîtrisent toutes les étapes nécessaires pour transformer les fèves en tablettes de chocolat.
Tout change au milieu du XXe siècle, lorsque quelques entreprises historiques finissent par se partager le marché et standardiser la production. Le chocolat voit son prix radicalement baisser et devenir accessible à toutes les couches sociales.
Fabriquer le chocolat de manière artisanale, directement à partir de la fève, devient trop coûteux. Les mêmes mastodontes qui dominent le marché se spécialisent aussi dans la production de chocolat de couverture, standardisé et destiné aux professionnels.
La majorité des artisans chocolatiers passent ainsi des fèves au chocolat industriel prêt à l’emploi, vendu à un prix très avantageux, qu’il suffit de faire fondre et travailler à sa guise. C’était l’une des solutions pour suivre la tendance de la standardisation, et de continuer à exister, tout simplement. Quelques maisons artisanales comme Bonnat ou Bernachon ont choisi de rester fidèles à la fabrication à l’ancienne. Mais cela reste une exception.
Les dérives et la naissance du bean-to-bar
Vous vous en doutez : avec la démocratisation du chocolat viennent aussi les dérives. Pour répondre à la demande croissante de cacao, on met en place des cultures intensives, notamment en Côte d’Ivoire et au Ghana, qui entraînent une déforestation massive, la perte de biodiversité et la dégradation des sols, contribuant ainsi au dérèglement climatique. Le travail des esclaves d’autrefois a été remplacé par celui des populations locales, et parfois même des enfants, vivant sous le seuil de pauvreté.
Le cacao devient une commodité dont le prix est négocié en bourse, et dont la qualité importe peu. Les fèves, souvent de mauvaise qualité, faute de moyens et de savoir-faire, sont mélangées et vendues en vrac à des multinationales qui masquent les défauts avec l’ajout d’additifs dont la liste est longue comme un bras. Le goût du chocolat est standardisé et universel.
Dans ce contexte, le mouvement bean-to-bar voit le jour, comme l’envie de renouer avec la fève, le terroir et le savoir-faire ancestral des cacaoculteurs mésoaméricains. Le bean-to-bar, signifiant littéralement « de la fève à la tablette », n’est ni un label ni une certification. C’est une philosophie, qui s’inscrit dans le mouvement de « slow food », et qui respecte la fève, les écosystèmes, les cacaoculteurs et les saveurs uniques.
C’est une philosophie que nous suivons chez La Baleine à Cabosse depuis nos débuts. Nous sélectionnons des fèves auprès de nos producteurs partenaires, que nous rémunérons à leur juste valeur, sans suivre le cours de la bourse qui écrase les prix. Nous avons aussi appris à fabriquer notre chocolat directement à partir de la fève, en maîtrisant toutes les étapes de production : de la torréfaction jusqu’au tempérage et au moulage des tablettes.
Fabriquer du chocolat bean-to-bar, c’est tout un art. L’art d’effectuer chaque étape avec précision. L’art de déguster pendant la fabrication. L’art de patienter. Eh oui, une bonne tablette de chocolat a besoin de temps pour que les fèves puissent exprimer toute leur richesse aromatique.
Quel futur pour le chocolat ?
L’histoire du chocolat est à la fois riche, complexe, et loin d’être terminée.
Les Mayas et les Aztèques, profondément connectés à leur terre, ont vénéré le cacao comme un cadeau divin, tout en appréciant les saveurs uniques des fèves selon leur origine. L’envie insatiable des Européens pour le cacao en tant que produit de gourmandise et de plaisir a peu à peu fait disparaître cette notion ancestrale du terroir. Pire encore : la production massive contribue aujourd’hui à la destruction de l’environnement.
Et si l’on revenait à la philosophie des civilisations mésoaméricaines ? Se reconnecter à la fève pour mieux la protéger, apprécier la saveur de différents terroirs, perpétuer le savoir-faire artisanal et valoriser les cacaoculteurs.
Si nous voulons préserver la planète et les générations futures, nous devons repenser notre consommation de chocolat. Le modèle économique actuel, qui repose sur l’exploitation des producteurs et de la nature, et qui est souvent au détriment de la santé des consommateurs, n’est tout simplement pas viable.
C’est d’ailleurs l’une des raisons qui nous ont poussés à créer La Baleine à Cabosse. Proposer une alternative vertueuse à la production traditionnelle du chocolat, et apporter notre pierre au changement de système. Consommer moins, mais mieux, tout en se reconnectant aux saveurs que le chocolat industriel ne pourra jamais offrir.
Les Mayas avaient raison : le cacao est un cadeau de la nature. À nous d’en prendre soin, si nous voulons continuer à en profiter.
Sources:
– D’où vient le cacao ? Muséum national d’Histoire naturelle
– MARTIN Carla D., SAMPECK Kathryn E. The bitter and sweet of chocolate in Europe. Jan 2015.
– DE LA FUENTE DEL MORAL Fátima. Comment le chocolat a fait fondre l’Europe.
– Fiche thématique : Le Chocolat. Château de Versailles
– CARCELLER Julie. Joseph Fry et le chocolat en tablette. Les Echos. 17 juillet 2008.
– AMIEL Frédéric. Petite histoire de la mondialisation à l’usage des amateurs de chocolat. Editions de l’Atelier. 2021.